Régularisation dans les métiers en tension : misons sur le contrôle du devoir de vigilance !

Tribune
5 décembre 2023

Par Frédéric Pradal, président fondateur de Bativigie

Alors qu’est discuté de nouveau au Sénat le projet de loi « Immigration », le sujet de la régularisation des travailleurs pour les métiers en tension continue de susciter de vives polémiques au sein de la classe politique. Pourtant, s’il constitue à l’heure actuelle une ligne de friction, des solutions en matière de devoir de vigilance existent, et permettent de concilier des mesures présentées comme « urgentes et humanistes » et de fermeté.

Après plusieurs reports, le projet de loi « Immigration » est discuté depuis le début de semaine au Sénat, bien que la création d’un titre de séjour pour certains travailleurs étrangers continue d’apparaître comme une ligne rouge pour un certain nombre d’élus. La majorité sénatoriale a d’ailleurs supprimé le controversé article 3 qui prévoit la régularisation des travailleurs clandestins dans les métiers en tension.

Sortir des passions partisanes

S’il ne s’agit pas ici d’adopter une posture politique sur un sujet aussi brûlant, il convient néanmoins de rappeler quelques éléments factuels et sortir des passions partisanes.

En 2022, 14 % des titres de séjour ont été délivrés pour motif économique (hors étudiants) contre 11 % en 2012. Parmi ceux-ci, les travailleurs saisonniers sont la catégorie qui a le plus augmenté, multipliée par dix en dix ans, pour atteindre 10 000 personnes en 2022.

Des secteurs moins qualifiés, en forte croissance, comme le secteur de la sécurité ou celui du nettoyage, concentrent également aujourd’hui une part élevée de travailleurs immigrés. Pour autant, si ces chiffres impliquent de se rendre compte que l’immigration joue un rôle important dans la croissance de la force de travail en France, ils nécessitent aussi de se pencher sur le sujet de l’exploitation de la main d’œuvre étrangère.

Présenté au mois de mai dernier par le ministre du Travail Olivier Dussopt, le nouveau Plan national de lutte contre le travail illégal (PNLTI) s’articule autour de deux objectifs prioritaires : mieux contrôler par le ciblage, la priorisation et le renforcement des contrôles en matière de travail illégal ; et mieux sanctionner, mieux recouvrer et réparer les préjudices liés au travail illégal. Des objectifs qui s’accompagnent d’actions de lutte contre la traite des êtres humains et sur la prévention des situations d’habitat indigne, alors que l’actualité de ces derniers mois nous a rappelé combien ce fléau était encore présent sur notre territoire.

Travail illégal : un fléau présent sur le territoire

Au début de l’année 2023, un agriculteur du Tarn-et-Garonne soupçonné de travail dissimulé avec l’emploi de dizaines de saisonniers sans les déclarer, a été condamné à 9 mois de prison assortis d’un sursis probatoire avec exécution provisoire et 10 000 euros d’amende. Loin d’être anecdotique, cette affaire faisait écho à une autre, toujours dans ce même département où en 2021, un grand réseau de travail agricole illégal de près de 250 saisonniers marocains non-déclarés avait été démantelé.
Pour d’autres secteurs en tension, comme le BTP, ou le secteur hospitalier, on ne compte malheureusement pas le nombre de condamnations qui sont prononcées chaque année à l’encontre des donneurs d’ordres, responsables et solidaires « pénalement et financièrement » des errements de leurs sous-traitants.

Des leviers de vigilance existent

Un paramètre que d’autres structures donneuses d’ordre impliquées au premier chef dans les ouvrages de grands évènements sportifs et culturels ont parfaitement pris en compte en faisant appel à des solutions visant à les accompagner dans leur devoir de vigilance. En effet, s’il existe des dispositifs créés notamment dans le cadre d’une réponse globale du législateur aux problématiques liés au travail illégal et à la concurrence sociale déloyale, la prévention du recours au travail dissimulé a très longtemps souffert de manquements. Ceux-ci sont aujourd’hui largement corrigés grâce notamment au développement par des PME françaises de solutions numériques de contrôle.

Alors que le débat autour de la régularisation des sans-papiers dans les métiers en tension est appréhendé à travers le seul prisme idéologique, il est regrettable qu’aucun responsable politique n’ait pris en compte les différents leviers de vigilance qui existent pourtant déjà aujourd’hui.

Concilier humanisme et fermeté

Quiconque s’est intéressé à la situation des métiers en tension et notamment dans le BTP sait que l’encadrement des chantiers constitue un véritable défi pour la maîtrise d’ouvrage, qui doit disposer des bons outils pour garantir la conformité de l’ensemble de ses sous-traitants et de leur personnel avec la législation en vigueur. Il s’agit en effet ici de permettre aux travailleurs de disposer d’un cadre légal en matière de droit du travail, et aux donneurs d’ordre, de veiller à leur adéquation en termes de responsabilités sociale et économique.

Loin des postures de principe et des réflexes partisans, le sujet de la création d’un nouveau titre de séjour « travail des métiers en tension » devrait donc nous interroger sur notre capacité à concilier humanisme et fermeté, en permettant à ceux qui travaillent et créent de la richesse dans notre pays d’être régularisé, tout en mettant en avant les solutions de contrôle de devoir de vigilance. Là réside en partie la voie du « compromis » recherchée par le gouvernement.

Frédéric Pradal
Président-fondateur de Bativigie